
R.L. Les Ateliers NANSEN
Rattachée à l’O. de PARIS1
Une loge d’étude et de Recherche sur les migrants
Explorateur polaire norvégien au début du siècle dernier, Nansen se consacra à la fin de sa vie à la Société des Nations où il fut nommé Haut-commissaire pour les réfugiés. Il reçut le prix Nobel de la paix pour son travail, au nom des victimes déplacées de la Première Guerre mondiale. Son initiative la plus célèbre est le « passeport Nansen », un certificat pour les apatrides qui fut reconnu par plus de cinquante pays. Pourquoi avons-nous choisi cet illustre patronyme pour nommer notre Atelier ?
En septembre 2020, le congrès de Paris 1 a légitimé l’allumage des feux de notre Loge d’études et de Recherche, « les ateliers Nansen ». Les travaux avaient commencé quelques années auparavant par la commission régionale « migrants » qui avait permis au GODF de publier un manifeste en faveur des Mineurs non accompagnés (MNA). On peut également trouver dans le Livre blanc un cahier thématique sur la question des migrations, dont le texte insiste sur le droit à un accueil digne et citoyen de tout migrant ou demandeur d’asile. Et ce quel que soit le statut juridique de la personne, notamment dans la période d’attente qui inaugure les démarches administratives, depuis l’inscription jusqu’à la décision juridique.
La recherche du progrès est pour nous, francs-maçons du GODF, un moteur essentiel de nos réflexions et de nos actions, dans une opposition sans failles au racisme et aux ennemis de la démocratie. De manière générale, nous, maçons et maçonnes devons travailler à l’acceptation et la reconnaissance de l’Autre et à son accueil. Le respect de la dignité doit être au cœur de nos engagements. Or ce qui devrait être une évidence lorsqu’on se réfère à l’humanisme est devenu un sujet servant de prétexte à la résurgence de discours qu’on aurait pu penser obsolètes, faisant de l’immigration un sujet idéologique et clivant.
La figure de l’immigré sert de repoussoir tantôt d’un point de vue de rationalité économique, tantôt comme symbole d’une identité menacée. L’assignation identitaire est toujours une violence ; elle enferme l’Autre dans une identité imaginaire fondée sur une seule de ses caractéristiques, qu’elle soit physique, raciale, culturelle, religieuse ou nationale, alors que les appartenances sont toujours multiples et variées. Nous sommes construits d’une pluralité d’influences et de rencontres.
L’assignation est toujours violence parce qu’elle permet de parler à la place de l’autre : en assignant l’autre, je lui dénie le droit de parler en son nom, et je m’empêche en même temps de le connaître. Chaque être humain doit pouvoir parler à la première personne du singulier et du pluriel : je suis un sujet et j’appartiens au nous que je choisis. Cela ne signifie pas que les catégories sont un frein pour la réflexion, mais il faut avoir à l’esprit qu’elles sont forcément limitatives lorsqu’il s’agit de connaître l’autre. La figure du migrant que construisent certains courants d’idées agglomère des situations singulières et hétérogènes pour en faire une généralité répulsive : alors que l’immigré vient de quelque
part et que l’émigré va quelque part, le migrant semble n’aller nulle part et venir de nulle part. De plus, comme le formule le Livre blanc, trois grandes crises fracturent notre monde. La première est une crise sociale qui existait déjà avant la crise sanitaire actuelle, et que cette dernière n’a fait qu’aggraver. La seconde crise est la crise climatique. Les préoccupations écologiques gagnent du terrain et impliquent de réfléchir à une autre façon d’organiser les échanges dans le monde. Enfin la troisième crise est celle entre le Nord et le Sud : il importe de résoudre les inégalités entre les deux hémisphères, et il devient urgent d’inclure les pays du Sud dans un système multilatéral.
Il est important de préciser les termes. Émigrer signifie pour nous le fait de quitter son pays pour aller s’établir dans un autre. Cette notion est forte, puisque même les enfants et petits-enfants d’émigrés sont dits de « deuxième génération » et « troisième génération », l’idée d’origine de personnes étrangères étant dominante sur l’idée d’appartenance à la nationalité française de leur descendance.
Immigrer c’est changer, changer de lieu de résidence et plus précisément d’entrer dans un pays étranger. Étranger, par contre, signifie ne pas avoir la nationalité du pays où on se trouve au moment concerné. Cet état peut changer au cours de la vie d’un individu dans la mesure où il peut obtenir cette nationalité. Réfugié désigne quelqu’un qui est contraint de quitter son pays pour se soustraire à des persécutions, un danger de mort, ou pour des raisons politiques, religieuses, ethniques ou de genre. Il s’applique aussi couramment à des personnes obligées de quitter leur pays pour des raisons économiques (famines, manque de travail…) voir pour des raisons climatiques. La définition de la qualité d’immigré, retenue pour l’élaboration de statistiques a été proposée par le Haut conseil à l’intégration (absorbé depuis par le défenseur des droits) : est considéré comme immigré toute personne née étrangère à l’étranger, et venue s’installer sur le territoire français pour une durée légale d’au moins un an, qu’elle ait ou non acquis la nationalité française ensuite.
Le paradoxe de cette définition est que le fait d’avoir acquis la nationalité française ne la modifie pas.
Les demandes de titres de séjour sont classées en cinq catégories : étudiants pour moins d’un an, regroupement familial, réfugiés ou traitement médical, au titre du travail non saisonnier, enfin les mineurs isolés et les visiteurs. En 2019 le total des demandes de titres de séjours était de 276 576 personnes, on est donc bien loin de la déferlante présentée par l’extrême droite et les nouveaux conservateurs.
Les contributions du livre blanc du GODF visent à un traitement humaniste des phénomènes migratoires. Elles contiennent des propositions de mesures concrètes pour les demandeurs d’asile. Elles se réfèrent aux valeurs de la Franc-maçonnerie pour mettre en place un traitement humaniste des phénomènes migratoires : aider et recueillir tous migrants sur mer ou sur terre dans la zone UE ; abroger le règlement de Dublin qui empêche les demandeurs de déposer des demandes d’asile multiples. Il faut gérer les phénomènes non plus au niveau de chaque nation frontalière, mais au niveau global européen dans une prise en charge véritablement équitable et humaniste. Il faut pour cela supprimer le règlement de Dublin, et instaurer une gouvernance et un budget européen pour faire face aux défis migratoires qui ne peuvent que s’amplifier ; il est indispensable de surmonter l’égoïsme des nations.
De manière plus générale, nous, maçons et maçonnes, devons travailler à l’acceptation de l’autre, à son accueil, à l’interculturalité en affirmant nos valeurs face aux discours de plus en plus xénophobes. Nous devons mettre en place des pratiques sociales pour faire face aux urgences et à la nécessaire solidarité pour changer les rapports des États et des hommes. Nous devons donner du temps, de l’énergie, et nos voix, pour lutter contre les inégalités de traitement entre migrants sans papiers et la population souvent issue de migrations, celle qui a obtenu par le droit du sol la reconnaissance de la nationalité. Les accompagnements de migrants sont une ardente obligation pour faire face au maquis administratif, et dans la recherche de logements, ainsi que dans l’apprentissage du français et la recherche de formations et de contrats de travail. Pour cela il est nécessaire de faire converger nos réflexions et actions avec les loges des autres régions du GODF. Un des objectifs des ateliers NANSEN est d’approfondir certaines notions utilisées couramment, comme celles par exemple d’assimilation et d’intégration. Dans l’histoire de notre pays, l’assimilation des migrants ne s’est réalisée qu’au fil du temps, souvent à partir de la seconde génération grâce à l’école, aux groupes de pairs ou bien du collectif de travail. L’assimilation et l’intégration ne peuvent être imposées comme conditions préalables au séjour, car elles sont le fruit d’une socialisation progressive et durable. L’assimilation ne doit pas être une obligation ; en effet on peut changer de modèle dans son existence. L’intégration demande du temps ; le droit du temps est plus fondateur que le droit du sol ou le droit du sang : c’est la continuité de la transmission d’une génération à l’autre qui est signifiante.
Lorsque nous utilisons les termes de réfugié ou d’exilé, nous mettons en exergue les dimensions de solidarité face à la détresse des personnes concernées et la nécessaire sauvegarde de la dignité humaine.
De façon plus restreinte, la notion de réfugié est définie par une convention de 1951, comme une personne craignant d’être persécutée en raison de son appartenance à un certain groupe social, et qui ne peut ou ne veut réclamer la protection de son propre pays. Un demandeur d’asile est une personne qui demande la protection d’un pays autre que le sien à titre de réfugié (ce qui fait que tous les réfugiés sont des demandeurs d’asile au départ).
Mais si on peut définir rationnellement la notion de migrant dans ses différentes acceptions, il ne faut pas négliger la part importante des représentations, de l’imaginaire et des stéréotypes que véhicule la figure du migrant, dans un pays encore marqué par son histoire coloniale. On peut citer l’histoire que nous raconte Nelson Mandela dans son autobiographie. Il évoque l’exemple d’un jour où il prit l’avion. Lorsqu’il vit que le pilote était noir, il ne put se retenir de douter de la compétence de ce dernier. Situation signifiante quant au poids insidieux de l’image du blanc tout puissant et expert, image inscrite dans l’inconscient même des plus avertis. C’est pour cela que notre programme de travail concerne également l’étude des discours et représentations qui font du migrant une figure qui est souvent celle du bouc émissaire.
Nous avons mis en place six groupes de travail dans le cadre des ateliers NANSEN :
- Un atelier sur les mineurs non accompagnés (MNA). Ces derniers doivent être reconnus,
jusqu’à l’âge de 25 ans comme des jeunes non accompagnés. - Un atelier « mémoire de parcours ». Il s’agit de donner la parole aux sœurs et aux frères des
loges de toutes les régions qui le souhaitent, et qui ont dans leur passé familial ou personnel
vécu une immigration, en présentant leur parcours sous toutes les formes possibles, celles
d’une planche, d’un document photographique, ou encore emprunté aux arts plastiques. - Un atelier « faits et discours sur les migrations ». Il s’agit de travailler les terminologies
adaptées, ainsi que les discours, pour mieux comprendre les actions et réactions à l’encontre
des populations qui rejoignent nos territoires en travaillant notamment avec l’Institut
Convergence Migrations. Un glossaire des termes utilisés a été élaboré (on peut le trouver sur
Netori). Est également entrepris un travail sur les discours visant à présenter l’immigration
comme un danger afin de les déconstruire. Trop souvent l’idéologie prime sur les faits ou la
raison. - Un atelier « intégration par la formation et le travail ». Certaines entreprises utilisent les
migrants dans des conditions qu’aucun citoyen ne saurait accepter. Nous poursuivons nos
travaux en écoutant les actions menées par les syndicats et les associations. - Un atelier « parrainage républicain ». il s’agit de relancer et d’encourager le parrainage
républicain qui pourrait être une initiative du GODF. Il faut alors travailler sur un argumentaire
incitant de nombreux frères et sœurs à s’engager auprès des migrants. - Un atelier « règlements internationaux », par lequel il s’agit de comprendre et de rechercher
dans les réglementations européennes les failles qu’il faudrait combler et les initiatives pour
que l’Europe renforce sa dimension humaniste et qu’elle observe les accords internationaux.
La situation empire aux frontières de l’Europe, avec la violation croissante des droits de
l’homme et un manque total de solidarité avec les migrants. Nous militons pour un passeport
NANSEN qui permettrait la libre circulation des migrants comme ce fut le cas pour les
apatrides.
Un des objectifs immédiats de notre travail est de contribuer à une évolution de l’accompagnement des mineurs migrants. Nous militons pour que le statut de mineur non accompagné soit remplacé par celui de JNA : jeune non accompagné, et de manière très concrète pour que le budget consacré aux examens mis en place pour les procédures de reconnaissance de minorité soit transféré à la prise en charge de l’accueil des jeunes migrants isolés jusqu’à l’âge de 25 ans. Les besoins en accompagnement de ces jeunes ne disparaissent pas une fois atteinte la majorité légale, loin de là.
Un tiers d’entre eux souffrent de psycho traumatismes qui pour certains se transforment en dépression chronique. Une
fois arrivés en France, plus de la moitié d’entre eux vivent dans la rue et accèdent difficilement à la nourriture. On considère socialement l’âge de 25 ans comme l’âge adulte, l’âge auquel il est possible d’accéder à un emploi stable et à un logement autonome. Tous les dispositifs nationaux d’aide à l’insertion des jeunes les concernent en principe jusqu’à l’âge de 25 ans et il doit en être de même pour le public des jeunes mineurs isolés, public fortement fragilisé. Il faut transformer le cadre de référence, il faut mettre en place à leur intention une suppléance parentale jusqu’à l’âge de 25 ans.
Le Grand Orient de France s’oppose énergiquement au racisme et aux ennemis de la démocratie, et fait de la recherche du progrès un moteur pour les réflexions et l’action de ses membres. En tant que maçon, nous avons été avertis par le truchement du miroir tendu lors de notre initiation que notre premier ennemi était nous -même, et on ne peut nier le poids des représentations idéologiques qui souvent brouille la figure de l’autre, en l’occurrence celle du migrant. Le travail des ateliers NANSEN s’inscrit dans la volonté d’élucider ces représentations, parfois dominantes, qui font de la peur de l’autre une dynamique néfaste, et dans la volonté humaniste d’aider à mettre en œuvre des solutions concrètes.
Le Ven. M. Jean-Pierre Zana décèdé le 24 mai 2025
Le Coll. des Off. des Ateliers Nansen
